Cette domestication remonte d’ailleurs à des lustres, «il y a à peu près 150 000 ans», quand l’«homo» n’était encore qu’un «cueilleur-chasseur : c’est même «le tout premier animal à avoir été domestiqué par l’humain», avant le bœuf ou la poule... et environ 135 000 ans «avant l’apparition de l’agriculture», rappelle le conservateur des vertébrés du MCN, Kamal Khidas, pour qui, le loup, créature aussi «intelligente» que charismatique, ne s’est pas contenté d’apprivoiser l’homme, mais l’a carrément «domestiqué, autant que l’inverse est vrai».
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/Q7JLLZCXHFG3ZPTYJNIETWWJTU.jpg)
L’inversion se veut un clin d’œil à l’une des nombreuses thèses développées par le scientifique Yuval Harari dans son livre Sapiens: Une brève histoire de l’humanité, et notamment l’idée que l’orge ou le blé ont domestiqué l’homme – en le rendant sédentaire – plutôt que l’inverse.
Le loup n’a pas été domestiqué pour sa viande, mais pour sa puissance, ajoute-t-il. Car, à cette époque, l’«homo», bien qu’omnivore par essence, n’avait guère développé son appétit carnassier. «Le loup nous a protégés. Avec lui [à nos côtés], on se sentait plus forts, plus puissants, plus protégés, plus accomplis. On était de meilleurs humains : des humains augmentés, 2.0, pour reprendre des expressions contemporaines...»
«Le loup est spécial pour nous, [les humains]. On l’a domestiqué parce qu’on partage beaucoup de traits psychologiques et comportementaux avec lui. Énormément! On a voulu créer le loup à notre image et on en a fait un chien [...] ça nous rappelle un peu les Dieux» grecs, eux aussi anthropomorphiques, philosophe-t-il.
Photographies géantes
La première des cinq sections que cette exposition hautement imagée consacre au loup s’intéresse donc, non pas au redoutable prédateur, mais plutôt... aux chiens. Les loups domestiqués, quoi, puisque la grande famille des canidés partage les mêmes ancêtres biologiques que les loups et les coyotes.
Soucieux d’éviter de ficher la frousse, ce coin pour les plus petits, Du loup au pitou, propose ainsi de téléverser une photo de son propre animal de compagnie. À côté d’une gigantesque photo de Wing – un grand loup au regard perçant, capté par Michelle Valberg, une photographe animalière d’Ottawa – on exhibe ici des crânes de chihuahua et de St-Bernard, ainsi que les images d’un louveteau momifié baptisé Zhur, conservé par le pergélisol depuis plus de 150 000 ans.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/I6UH465PQNHUBKSSIMWGOXPPS4.jpg)
À quelques mètres, quelques bonus tactiles (touche la fourrure), olfactifs (une bouffée de musc de cervidé dans les narines) ou audio (un loup empaillé émettra des grognements mécontents lorsqu’on l’approche de trop près) attendent les visiteurs.
Si l’exposition partage de nombreuses capsules informatives et artefacts lupins, elle se veut aussi hautement imagée.
On y découvrira une douzaine de saisissantes photographies de loups, toute présentées en très grand format, que Mme Valberg a rapportées de ses ‘safari-photo’ sur l’île de Vancouver et dans le parc national de Yellowstone, aux États-Unis.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/RRTUP6HDIRALBPQ3HVWPJW5EW4.jpg)
Passé, présent et futur
Ses clichés, magnifiques, sont répartis à travers les quatre sections de cette petite exposition qui s’intéresse tant au passé du loup qu’à son présent et son avenir.
Au passé, on suit l’évolution du loup, tant au plan biologique que comportemental.
On s’intéresse par exemple aux loups de Béringie, ces loups gris qui ont colonisé l’Amérique du Nord il y a 50 000 à 12 000 ans, en passant par la Béringie, cette langue de terre (aujourd’hui immergée, mais qui a donné son nom au détroit de Béring) située entre la Sibérie et l’Alaska. Le loup, rappelle le conservateur Kamal Khidas, fait partie des rarissimes mammifères a avoir survécu à l’extinction généralisée du règne animal durant l’ère glaciaire. Un exploit particulièrement remarquable au vu de sa grande taille, s’empresse-t-il d’ajouter.
Au présent, on propose un petit détour par Yellowstone, pour témoigner des efforts pour y réintroduire les loups, au milieu des années 90. L’expo se penche par ailleurs sur la représentation de l’animal dans l’inconscient collectif.
Quant à l’avenir... on se penche sur divers enjeux de conservation de l’espèce.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/XIRVKXOJDFHYDGEIY7YZGZRLQ4.jpg)
La section Notre regard sur les loups donne un bel aperçu de l’omniprésence lupine dans la culture populaire. On y évoque «la peur du loup» moyenâgeuse et le commerce des fourrures et trophées de nos contrées nordiques (qui s’est perpétué jusque dans les années 1950, voire 60, rappelle le Dr Kamal Khidas).
De Fenrir à John Snow
On y montre aussi à quel point la culture populaire s’est emparée du bestiau. L’expo donne un aperçu de cet éventail en convoquant Fenrir, figure incontournable de la mythologie nordique; une célèbre statue de Rémus et Romulus (fondateur de Rome, selon la légende) tétant les mamelles de leur ‘maman’ louve ; une antique édition du conte de Perreault opposant le noir animal à un Petit Chaperon rouge»); et quelques représentations plus modernes (et plus «garou»), de Teen Wolf à Ghost (le loup blanc de Game of Thrones) en passant par Harry Potter.
Cette section n’omet pas d’inclure le regard des populations inuits et autochtones, à travers le regard artistique de Quvianaqtuk Pudlat («Loup de la toundra» ou d’Arthur Thompson («Homme se transformant en loup»), deux œuvres évocatrice de la fascination pour cet animal à la fois redouté et vénéré. Car le loup, mentionne le MCN, est dans de nombreux mythes autochtones, un «symbole de courage, de force et de loyauté».
S’il est question, bien sûr, question du loup en tant que prédateur –l’animal, apprendra-t-on au détour des capsules, fait partie des espèces dites «clef de voûte», c’est-à-dire qui impactent sur leur environnement de façon supérieure à leur abondance objective.
Ingénieuses créatures
Pourtant, souligne encore Kamal Khidas, ce loup dont on a fait l’effrayante créature, ennemie de l’homme, des contes et légendes, est avant tout un animal qui joue un rôle crucial dans l’équilibre de tous les écosystèmes où on le retrouve.
Sur ce plan-là, les loups en meutes sont «plus ingénieux que des armées d’ingénieurs», plus efficaces que l’homme, lorsqu’il consacre ses maladroites énergies à restaurer les équilibres fauniques, estime le scientifique grâce à qui le MCN possède aujourd’hui plus de 2500 objets lupins (des ossements, surtout), ce qui représente «une des plus importantes collections [du genre] au monde», s’enorgueillit-il.
«L’histoire qu’ils sont dangereux, c’est un mythe, c’est de la foutaise» au plan statistique, soutient M. Kemal, soucieux de mordre à pleines canines dans les idées fausses
«Les loups sont spéciaux, pour nous [les humains]. Ce sont des êtres très intelligents, qui nous observent [autant qu’]on les observe. On se fascine l’un, l’autre.» À écouter le scientifique, l’animal parviendrait même à comprendre notre langage.
«Mais s’attaquer à l’homme? C’est très exceptionnel. Les loups sont trop intelligents pour ça... même quand ils sont affamés!» poursuit M. Kemal. Non, le canis lupus reste dans son coin. Il garde ses distances. Mais il nous observe, et c’est ce qui a facilité le rapprochement [voilà] 150 000 ans. Et aujourd’hui, le loup est partout. Il est à l’intérieur de nos maisons [sous sa forme canine]. Mais même sous sa forme férale, sauvage, il est toujours très proche, autour de nos villages et de nos campements.»
Activités durant la relâche
Des activités spéciales en lien avec «Loups!» sont prévues tout au long de la période de relâche scolaire (tant Ontarienne que québécoise). Du 4 au 19 mars, les jeunes visiteurs pourront par exemple apprendre à mouler des empreintes de loups, ou participer à un jeu de devinettes. Les lundis 6 et 13 mars, ils pourront même observer de près des chiens-guides pour aveugle, qui se baladeront dans l’exposition avec leur maîtres.
•••
Renseignements: Musée canadien de la nature