Amherst va donc rejoindre aux oubliettes Philipp Lenard et Alexis Carrel. Le premier, antisémite notoire, a été remplacé par Albert Einstein, le célèbre théoricien d’origine juive, et le deuxième, farouche partisan de l’eugénisme, a fait place à Marie-Curie, seule femme à avoir gagné deux prix Nobel. Des articles publiés par Le Droit rappelant la véritable identité des deux sympathisants nazis et une pétition lancée par un citoyen avaient alors mené à la modification toponymique.
Dans le cas de la rue Wìgwàs, il s’agit de l’aboutissement d’une démarche entamée officiellement par l’ex-maire Maxime Pedneaud-Jobin et le chef de la communauté de Kitigan Zibi, Dylan Whiteduck, en 2021. C’est aussi le point d’orgue d’un débat sur la pertinence de conserver le nom Amherst dans la toponymie qui remonte à 2009 pour la Ville de Gatineau. L’organisme Impératif français avait alors échoué dans sa tentative de donner à la rue Amherst le nom de Bernard Assiniwi. Le conseil municipal, alors dirigé par Marc Bureau avait été fortement majoritaire en faveur du statu quo. Amherst a ainsi pu profité d’un sursis de 14 ans.
Bien des choses ont changé depuis et le général Amherst n’a cessé de s’enfoncer dans la disgrâce. Celui qui a fait capituler Louisbourg en 1758 et qui s’est emparé de Montréal en 1760 a aussi marqué l’histoire par son intervention dans la guerre de Pontiac entre 1763 et 1766. Il avait notamment suggéré d’éliminer les populations autochtones rebelles en les contaminant avec des couvertures infestées de variole.
Ce sont finalement les aînés de Kitigan Zibi qui auront eu raison d’Amherst. C’est d’eux qu’est venue la proposition de renommer la rue Amherst par Wìgwàs. Ce nom rend hommage au bouleau blanc, une essence centrale dans la culture et le mode de vie des Anischinabés. Le bouleau blanc est utilisé notamment en médecine et dans la fabrication de canots, des paniers et des habitations traditionnelles.
Wìgwàs vient donc s’ajouter à deux autres toponyme autochtones à Gatineau; Abinan qui désigne une place publique sur la rue Jacques-Cartier depuis 2017, et Mitigomijokan qui est le nom d’un nouveau district depuis l’élection de 2021.
«Nous apprécions réellement ce qui a été fait, a lancé Frankie Cote, membre du conseil de bande de la Première Nation Kitigan Zibi Anishinabeg. On ne s’était jamais vraiment vu dans la ville. Notre présence n’était pas reflétée. Là, nous avons un début. On parle de réconciliation dans tout le pays et ceci est une première étape. Il y en aura d’autres, avec la ville, le pays et tout le monde.»
La mairesse de Gatineau, France Bélisle, a abondé dans le même sens. Il s’agit certes d’un geste symbolique, mais aussi d’une reconnaissance que cette communauté a existé et qu’elle existe encore. Elle a affirmé être ouverte à modifier d’autres noms de rue afin d’intégrer plus de toponymes anishinabeg dans le paysage gatinois. «C’est important que les membres de la communauté, quand ils viennent à Gatineau, puissent se voir, se sentir chez eux et appréciés, et si ça doit passer par d’autres changements de noms de rue allons-y.»
Les symboles ne seront toutefois pas suffisants, a noté Mme Bélisle. Des efforts de réconciliation économique devront aussi voir le jour. «On le voit dans le Nord-du-Québec, il y a des projets d’entreprises partagées avec les communautés autochtones et j’espère voir ça aussi sur notre territoire», a-t-elle souligné.
Gatineau entend aussi se doter d’un conseiller au partenariat autochtone régional qui sera financé conjointement par la Ville et l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Cet engagement pris lors du Grand Rassemblement 2023 permettra l’ajout d’une ressource capable de maintenir des relations constructives, basées sur la confiance mutuelle entre les communautés de la Première Nation algonquine Anishinabeg de Kitigan Zibi, les organisations autochtones et les établissements d’enseignement supérieur de la région.