La semaine dernière, lors d’un sommet sur la fiscalité à Montréal, la mairesse Bélisle se demandait publiquement si le Québec de 2023 est celui où il est devenu acceptable qu’une femme accouche seule dans un boisé. Son discours a fait le tour de la province. «Le Québec dont on rêve, c’est un Québec ambitieux, c’est un Québec qui en fait un enjeu national, c’est un Québec qui refuse l’itinérance, a répondu le maire de Québec, une semaine plus tard. Gens du Québec, l’heure est venue. La suite des choses nous appartient, soyons en colère. L’heure est venue pour un Québec sans itinérance.»
Le ton était donné à cette journée de discussions dans le blanc des yeux qui était très attendue par le monde municipal. De l’avis de plusieurs intervenants contactés dans les derniers jours, jamais l’itinérance n’avait occupé autant de place dans l’actualité en une seule semaine. La délégation de Gatineau qui accompagnait la mairesse Bélisle est partie jeudi pour Québec, et comptait une vingtaine de représentants d’organismes, des fonctionnaires et des élus du conseil municipal. Plusieurs ministres étaient sur place, dont celui québécois des Infrastructures, Jonathan Julien, et son collègue des Services sociaux, Lionel Carmant. Le fédéral était représenté par Jean-Yves Duclos, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement. L’absence de la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, et du premier ministre, François Legault, a été soulignée.
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«Je comprends les craintes des maires et mairesses et que pour plusieurs c’est un enjeu de tous les jours […] il y a des enjeux qui interpellent tout le monde ici et on est à un moment crucial, a lancé le ministre Carmant dans son discours. Si on veut renverser la tendance et éviter que la situation s’aggrave, il faut agir maintenant.»
Le ministre Carmant a reconnu que les 20 millions supplémentaires annoncés jeudi pour ajouter des refuges d’urgence et des installations de répit sont loin d’être suffisants. «C’est un bandage, j’en suis conscient, c’est une aide d’urgence qui s’ajoute à ce qu’on a investi depuis 2021, pour s’assurer d’être prêt pour l’hiver», a-t-il reconnu. Le président de l’Union des municipalités du Québec, Martin Damphousse, a rappelé que le ministre des Finances, Éric Girard a récemment mentionné qu’il était nécessaire que la mise à jour économique prochaine vienne ajouter des sommes pour faire face à l’itinérance, à la crise du logement et à l’adaptation aux changements climatiques.
De la collaboration vient l’efficacité, dit Carmant
Lors d’un panel de discussion en matinée, France Bélisle a affirmé qu’il faudra une «vision Québec» qui ne pourra pas se limiter à la question de l’habitation pour régler la situation de l’itinérance. Cela doit passer par une capacité à s’adapter aux réalités régionales, a-t-elle dit en rappelant au passage que l’Outaouais fait face à des défis immenses en matière de santé et de services sociaux. «Tristement plus qu’ailleurs parce que notre région est collée sur l’Ontario et qu’on a un retard historique, reconnu et chiffré par le gouvernement du Québec», a-t-elle ajouté. Selon elle, ça prendra plus que de l’argent et des logements pour régler la crise de l’itinérance. «C’est aussi des services sociaux qui doivent arriver et des organismes communautaires mieux soutenus dont on a besoin», a-t-elle insisté.
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Le ministre Carmant a mentionné que «les régions où on offre les services les plus efficaces [en matière de lutte à l’itinérance] sont souvent les régions où tout le monde est apte à bien collaborer». Il a ajouté avoir eu de nombreuses discussions au courant des derniers mois à cet effet. «Les centres de santé et de services sociaux (CISSS) doivent collaborer avec vous, a-t-il dit. J’ai bien compris que la collaboration avec certains CISSS n’est pas égale. Ça sera extrêmement important pour la suite. Je veux qu’on s’améliore, tous.»
À ce chapitre, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a rappelé que «les itinérants ne sont pas des bibelots qu’on met dans un refuge». Certains d’entre eux ont besoin d’aide en matière de santé mentale ou de toxicomanie. «Ils doivent être accompagnés dans un parcours clinique plus fort, c’est ça qui va aider à la cohésion sociale», a-t-elle insisté. Et peut-on soutenir les organismes communautaires qui sont sur la ligne de front?»
France Bélisle a abondé dans le même sens. «Simplement prendre la personne dans la rue et la mettre dans un logement n’est pas lui garantir des conditions de succès, a-t-elle rappelé. On a besoin de services sociaux. […] Pour moi, les organismes sur le terrain sont comme des aidants naturels et les gens dans la rue sont les patients. SI les aidants naturels ont la langue à terre, ils ne peuvent lus aider le patient. Bien des organismes ont la langue à terre. Il faut une vision nationale sur tous les fronts.»
L’échec de la société
La situation de l’itinérance est «graves, nous devons tous le reconnaître», a indiqué le ministre Duclos. Il est «inacceptable» dans une société comme la nôtre que des concitoyens soient contraints de vivre dans la rue, dans des conditions inadéquates et dangereuses. «L’itinérance est la conséquence de plusieurs pathologies de notre société qui se renforcent les unes les autres, a poursuivi le ministre. Les inégalités croissantes, la pénurie de logements, l’augmentation du coût de la vie, l’affaiblissement du milieu communautaire et la crise des drogues toxiques. […] Une personne dans la rue est une personne de trop.»
La mairesse de Montréal a rappelé qu’une tente, comme on en voit pousser un peu partout au Québec, n’est pas un toit. «Une tente, c’est une toile, ça ne protège pas contre le froid, contre une attaque, contre un viol, a-t-elle affirmé. De demander à des maires si oui ou non ils veulent des campements sur leur territoire, ce n’est pas juste. C’est un constat d’échec de la société québécoise de ne pas pouvoir loger convenablement et de façon sécuritaire chaque Québécois. On continue de trouver des solutions en grattant des fonds de tiroirs, mais pour moi ça revient à un droit essentiel, celui du droit à l’habitation.»