Francis Faubert: l’amour et ses bagages

Si la pandémie a joué dans les méninges de beaucoup d’artistes avec des œuvres jouant dans la grisaille  reflétant leurs humeurs déconfites, ce serait plutôt le contraire, en ce qui concerne Francis Faubert, à qui la pause a profité.

Si la pandémie a joué dans les méninges de beaucoup d’artistes, qui sont ressortis du cadenas covidien abattus, avec des œuvres jouant dans la grisaille reflétant leurs humeurs déconfites, ce serait plutôt le contraire, en ce qui concerne Francis Faubert, à qui la pause a profité.


Il en ressort plutôt reposé, avec des textes plus lumineux, presque sereins, si on les compare à ceux de son précédent album solo, Maniwaki (2015), peuplé de personnages de grands écorchés vifs.

À moins de considérer que son nouvel album studio — Je sais pas pourquoi tu m’aimes, à paraître le 6 octobre — comme un trompe-l’œil. Car, non, l’auteur-compositeur-interprète n’en a pas terminé avec les « perdants magnifiques. On y retrouve les doutes, l’angoisse, la fragilité et le grattage de bobos qui suintent (son second extrait, paru en mai, s’intitulait tout de même La fin du monde) mais il ne répugne, plus, désormais à laisser quelques rais de lumière inonder les plaies de ses personnages.

Il faut dire qu’en marge de la pandémie, Francis Faubert a réussi à être en paix avec une partie de son passé. La partie «familiale». Qui lui semblait un lourd fardeau, non pas à porter sur ses épaules, mais à partager avec une amoureuse.

La chanson-titre est née de son étonnement à ce que «quelqu’un puisse s’intéresser à moi, avec tous les bagages que je porte», confesse-t-il. Il s’adressait alors à la chanteuse Stéphanie Boulay, avec qui il a été en couple quatre ans. Ils sont séparés depuis un an, mais son ex-tourterelle a eu le temps de poser sa voix (et, sans aucun doute, sa douceur) sur l’album.

Son lourd «bagage»

On ne s’épanchera pas trop en détail sur ce que Francis Faubert appelle son lourd «bagage». «Il y a eu la mort de mon père et un paquet d’affaires qui sont arrivées pas mal en même temps, mais ce qui m’absorbait complètement, c’était ce qui se passait avec ma grande.» L’aînée de ses deux filles, qui a à présent 12 ans, était victime d’«aliénation parentale» et Faubert s’est retrouvé brimé dans ses droits quant à la garde de l’enfant. La fillette restait à Gatineau, dans un environnement familial jugé assez toxique pour que la DPJ s’en mêle et finisse par confier au chanteur la garde plein temps de «sa grande».

C’est pour échapper à la douleur sourde ressentie au quotidien, privé de nouvelles de sa fille et se sentant démuni, que Francis Faubert s’est à l’époque remis au piano. «Tout doucement », poussé par le besoin de « jouer par plaisir, de façon ludique, en s’enlevant toute source de stress et toute notion de performance».

Ceci explique la (relative) luminosité des morceaux qui le composent, croit-il. «J’avais besoin de douceur. «Maniwaki» «c’était des personnages qui criaient qu’ils voulaient vivre», tandis que pour la création du nouvel album, «si je m’étais laissé aller dans le cri… pas sûr que j’aurais survécu!».

«Ç'a été un esti de bordel pour la sortir de là, ma fille. C’était à Noël: je l’ai ramenée de Gatineau à Montréal [en bravant] une tempête de neige sur la 417, pour pouvoir lui offrir un beau Réveillon, un sapin, des décorations et des sourires. Et dans le char, j’ai réalisé à quel point tout ça — la tempête et la température de m... — était une métaphore de ce qu’on était en train de vivre. «Je te promets qu’on va sortir de cette crise. Je te promets qu’un printemps s’en vient et qu’il y aura des fleurs, et que tout va redevenir cool.»

Il a tenu sa promesse.

Il s’est trouvé «en 24 h» un nouvel appartement assez grand pour loger ses deux filles, puis a trimé comme un fou sur les chantiers de construction, où il a offert ses services de charpentier-menuisier pendant plus d’un an, suant à grosses gouttes pour payer les factures juridiques qui s’étaient amoncelées.

Le chanteur Francis Faubert.

Dessin de sa fille

La pochette du disque est un dessin de sa fille, et, sous cet éclairage familial, certaines chansons prennent un sens tout autre. Les marques sur tes bras, «ce n’est pas une métaphore: c’est ma fille qui s’automutilait». Il a «hésité longtemps» à l’intégrer au disque, car je sais que ça pourrait écorcher quelqu’un… mais je tenais à dénoncer l’aliénation parentale».

Idem pour «c’est pas ma fin de semaine», sur laquelle Faubert chante «Briser ses chaînes, c’est possible», qui résonne soudain différemment. «Toute ma vie, j’ai essayé de prendre des décisions pour me tenir le plus loin possible des chaînes, à essayer de ne pas me retrouver dans des petites cages, pas faire des jobs plates juste pour pouvoir payer les bills ou me retrouver pris dans une situation amoureuse [insatisfaisante]. Je souhaite apprendre ça à mes kids», la liberté de «choisir ses contraintes», tout en refusant «l’esclavage social».

Se remettre à écrire et composer a fait partie d’un processus d’acceptation et de guérison. «Je méditais énormément et, pour ça, ma routine, c’était de m’installer au piano. Et chaque fois que je m’étais au piano, il y avait une toune qui se pointait. C’est comme ça que l’album est arrivé [alors que] je ne pensais même pas faire d’autres disques. On était dans en plein cœur de la pandémie; on [les artistes de la scène] était tous pas mal refroidis par le métier, par l’industrie, par les Facebook live et tout le monde qui criait «Aimez-moi, pareil!»

«J’avais l’impression qu’on [les artistes] était comme un paquet de chats qu’on pitch dans l’eau. Tsé, ça tripe pas, puis ça cherche à en sortir. J’ai eu besoin de prendre une pause… je l’ai prise. Ce disque, c’était donc une sorte d’anti-Aimez-moi!», poursuit-il.

«J’étais dans une démarche où je réapprenais à respirer. Si tu t’énerves, dans ces situations [de souffrance], tu n’arrives à rien. Je n’avais pas besoin de crier. Juste le dire [calmement, du bout des lèvres], c’était suffisant. Parce que ça criait déjà tellement fort, en dedans!»

Son calme luxuriant, l’album le doit aussi à «l’effet campagne». Durant la pandémie, Faubert (aujourd’hui redevenu Montréalais) demeurait à Chenéville, en Outaouais, entouré de vaches, dans la demeure d’un ancien artiste-peintre. Une maison hantée dont «on avait fait sortir les fantômes», mais qui conservait «une vibe particulière». «Il y avait aussi le facteur PCU [Prestation canadienne d’urgence] qui a fait qu’on était moins stressé par le cash», convient-il.

Sabotage

Contrairement aux deux précédents, le nouvel album n’a pas été réalisé par Dany Placard, mais par Pierre Fortin, qui était déjà aux manettes du minialbum Duclos–St. Prime, que Faubert a fait paraître en 2013.

«J’ai une tendance à tout donner, mais à lâcher dès que je vois le fil d’arrivée, alors j’ai vraiment besoin qu’on me pousse dans les derniers kilomètres — ou juste avant la sortie d’un disque. Je suis du genre à m’autosaboter. J’ai fait de la thérapie, pour ça. C’est comme si tu penses que tu ne mérites pas [le succès], et que toute ta vie doit être difficile.» Ce «comportement inconscient» s’est «imprimé» en lui, sans doute parce que son père n’a jamais pris au sérieux sa carrière de musicien, qu’il voyait comme un hobby temporaire, analyse Francis Faubert.

«J’ai besoin d’être encadré. En studio, c’était cool: Pierre me poussait dans le c… Mieux encore, il me prenait en charge. Dès que tu rentres dans son vaisseau, tu sais que ça va bien aller.»

Fortin est effectivement omniprésent, puisqu’il gère en même temps la batterie, les claviers, la guitare électrique, la basse et l’harmonica, aux côtés de Guillaume Turcotte (claviers) et Jérôme Dupuis-Cloutier (trompette), sans oublier Jean-Sébastien Chouinard (guitares), qui a leur ouvert son studio. Je ne sais pas pourquoi tu m’aimes est aussi enluminé par la présence sensible du quatuor de musique de chambre Mommies on the run.

La sortie — numérique — de Je sais pas pourquoi tu m’aimes est prévue pour le 6 octobre. Aucun lancement n’est prévu pour l’instant. «Je tiens à le lancer à Gatineau, mais je ne m’en suis pas encore occupé… c’est mon côté saboteur.» Francis Faubert attend peut-être que les mélomanes se donnent la peine de le «pousser dans le c....»?