Mme Nadeau, originaire de l’Outaouais, n’avait toutefois pas abandonné le personnage de Harvey – un enfant confronté à la mort de son père, qui plonge dont l’imaginaire fertile lui permet de faire de l’évitement autour de ce deuil – puisqu’elle a piloté une adaptation de l’œuvre au grand écran, sortie plus tôt cette année.
Il s’agit du troisième court métrage d’animation que cette enseignante en design graphique signe sous l’égide de l’ONF, après Nul poisson où aller (2014) et Mamie (2016); le second était co-produit par le studio français Folimage, qui a aussi participé à l’adaptation de Harvey.
La version animée de Harvey, dont la trame sonore est signée Martin Léon, suit la même trajectoire triomphale que le roman graphique, puisqu’elle a été retenue dans la sélection de plus de 50 festivals, à travers le monde. Au fil de ces projections, le film a glané trois prix et une mention: à Rhode Island, Buenos Aires, Bari et Chypre.
Réalisé à l’ancienne (dessins au crayon, en 2D; animation traditionnelle et papiers découpés), Harvey vient cette semaine faire un tour à Ottawa, à l’invitation du très prestigieux Festival international du film d’animation d’Ottawa (OIAF), qui se déploiera sur la capitale fédérale du 20 au 24 septembre.
Le film de Janice Nadeau y sera projeté trois fois, au sein de deux programmes distincts de courts métrages destinés à la jeunesse (les sélections Animation Made for Young Audiences 7+), le 20 septembre à 11h et 13h et samedi 23 septembre à 9h30. Son autrice sera sur place pour rencontrer le public.
Si Harvey aborde le deuil, le film porte avant tout «sur l’importance d’écouter sa voix intérieure, parce que Harvey tout le monde lui dit toujours quoi penser, alors qu’il a un imaginaire bien à lui» et qu’il se (re)construit à son rythme, estime toutefois l’animatrice en chef, en faisant l’hypothèse que c’est bien ce que les gens en perçoivent, et ce qui explique son succès en festivals.
Plus manifestement encore que dans le roman graphique, le personnage semble vouloir fuir la réalité. Janice Nadeau le percevait comme un garçon un peu isolé, limite «bouc émissaire»: «Il n’a pas la vie facile, ou du moins il se bute à la bêtise des autres.» Scénariser le film lui a permis de «confirmer ses intuitions et de suivre ce fil-là».
Pour cette adaptation de 9 minutes, Janice Nadeau ne pouvait pas conserver tous les éléments du récit original. Pour le faire, il aurait sans doute fallu rallonger le film à 30 minutes; irréaliste, quand on sait que ces 9 minutes représentent «deux ans et demi de production» pour les équipes de l’ONF et de Folimage, sans compter les quelque «quatre ans [passés] à construire l’univers du film» en solo.
Tirer les fils d’un univers
Hervé Bouchard avait, faute de temps, décliné l’offre de scénariser lui-même le film. Il a cependant donné toute latitude à Janice Nadeau pour faire vivre Harvey à l’écran.
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Le sentiment d’invisibilité du garçon, notamment, est moins manifeste, dans la version animée. «J’ai décidé d’être fidèle à ce que je ressentais du texte de Hervé Bouchard, plutôt que de [me faire] le miroir de l’œuvre. Mon but, c’était de rester fidèle aux sensations.»
«Le regard de Harvey sur le monde qui l’entoure est unique. Quand il regarde des cure-dents, il voit des bateaux; quand il observe le chandail de son père, il voit de losanges s’envoler; c’est ça qui m’intéressait de conserver. C’est ce que j’aime de l’univers d’Hervé Bouchard.»
Les deux printemps
Il y avait aussi «le fait que l’histoire se passait au Québec, un univers qui me parlait», poursuit Janice Nadeau, qui adore dessiner «la nature, les vêtements, les gens» d’ici.
Elle a aussi été séduite par l’atmosphère d’un récit plongé dans cette saison printanière si particulière, qui se décompose au Québec en deux temps. Il y a d’abord ce printemps gris-blanc, «très marqué par les traces de l’hiver, quand il y a encore de la neige un peu sale et grise au sol, mélangée aux cailloux et aux crottes de chien qui dégèlent sur les trottoirs», ce printemps de la sloche et des sucres, qui préfigure le «printemps vert, quand le gazon apparaît et les fleurs s’ouvrent». «Tout le film se déroule durant cette période charnière où on a hâte de se dégager de cette lourdeur hivernale. C’est un printemps qui va marquer Harvey à jamais.»
Renseignements: animationfestival.ca; onf.ca/film/harvey_fr/
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Dilater l’univers d’Hervé Bouchard
Devoir condenser la matière n’a pas empêché l’animatrice d’ouvrir de petites fenêtres sur l’imaginaire de son personnage.
«Il y a des digressions, des “histoires dans l’histoire“. Harvey, qui est devenu le narrateur, «nous amène dans ses histoires de course de bateaux [miniatures, glissant le long d’un trottoir], de Scott Carré [son superhéros favori, tout en ombres chinoises, très éloigné de la galaxie Marvel, si ce n’est que Scott Carré partage le superpouvoir de Antman] et de macaroni au fromage», énumère-t-elle.
«Tous les univers intérieurs d’Harvey se côtoient dans le film, et ça lui confère un rythme assez enlevant, un rythme qui s’accélère.»
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«Dans mes deux premiers films, surtout Nul poisson où aller, on voyait tout le temps plein de personnages en même temps, comme sur une pièce de théâtre. Pour Harvey, j’ai davantage travaillé la mise en scène, les champs et contre champs, le rythme. C’est plus cinématographique.»
Janice Nadeau s’est aussi permis d’éclipser la scène finale du livre, dans lequel Harvey «disparaissait» dans les bras de son oncle, ce que l’illustratrice interprétait comme la mort symbolique du protagoniste. («Quand je travaillais sur le livre, je lui avais demandé [à Hervé Bouchard] “est-ce qu’il meurt, Harvey?“ Il m’a dit : “c’est à toi de décider“...»)
Tome 2 en préparation
Même si la mort n’était que suggérée, cette fin «tragique» lui semblait brutale. Janice Nadeau a souhaité offrir au récit un autre épilogue, plus doux – avec la bénédiction de l’auteur... qui planche en ce moment sur une suite, confie l’illustratrice, sans s’avancer sur une date de parution. Eelle peut en revanche annoncer que l’éditeur de Harvey, La Pastèque, est en train de préparer une réédition, prévue pour 2024 – «la troisième, je crois».
«C’était un livre qui me donnait envie de l’augmenter. L’univers d’Hervé Bouchard est tellement bien ficelé qu’il y a encore plein de fils à tirer.»
Martin Léon
Cette augmentation passe notamment par la voix – celle du comédien Laurent Lemaire – mais, surtout, la musique, composée par Martin Léon, qu’a eu la bonne idée de recruter le responsable de la conception sonore, Olivier Calvert.
«Moi je pense en images, alors Martin Léon me parlait en images. Il m’envoyait des photos de forêts ou des dessins. Il m’appelait souvent pour me jouer un peu de piano ou de guitare et en discuter, ou pour mieux comprendre mes intentions. C’était une super relation!»
Ayant carte blanche, le musicien «s’est amusé». «Pour la scène des têtes du père, on a travaillé comme sur un cadavre exquis; il a beaucoup improvisé et demandé à ses musiciens de trouver toutes sortes de son étonnants.»