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Vous perdez une fortune à réclamer vos rentes trop tôt, voici combien

Pour vivre une retraite paisible d'un point de vue financier, vaut mieux ne pas demander ses rentes trop tôt, explique Daniel Germain.

CHRONIQUE / Ç'a déjà été dit ici : repousser le plus tard possible le versement de ses prestations du Régime de rentes du Québec (RRQ) et la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) simplifie la planification de retraite en plus d’être payant à long terme.


Oui, c’est contre-intuitif : plus j’attends avant d’encaisser mon argent, plus je vais recevoir d’argent.

De plus, cette approche libère les gens âgés d’un poids incroyable en gommant les risques liés au marché financier, à l’inflation et à la longévité. Mieux : elle circonscrit la période pour laquelle on doit planifier ses vieux jours. Plutôt qu’épargner en vue de répondre à ses besoins financiers sur une période de 25 à 30 ans, on amasse un coussin dont l’essentiel servira une douzaine d’années.

Hier, la chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’université Sherbrooke (CFFP) a présenté une étude susceptible de rallier les plus sceptiques. La conclusion : dans la presque totalité des cas, on perd de l’argent à demander ses prestations de retraite le plus tôt possible. Dans la majorité des scénarios étudiés, au contraire, il vaut mieux les retarder le plus longtemps possible, soit à 70 ans pour la PSV et à 72 ans pour le RRQ (ce qui sera possible à partir de 2024).

Luc Godbout, titulaire de la chaire, a confié les calculs à Daniel Laverdière, actuaire et planificateur financier à la retraite. Ils y travaillent depuis le printemps, avec Frédérick Hallé-Rochon. Si vous êtes un habitué de cette chronique, ces deux experts vous sont familiers. Le sujet aussi.

Bien sûr, tous les cas de figure imaginables n’ont pas fait l’objet d’une évaluation. L’étude se penche sur trois situations selon les revenus de carrière et les objectifs de revenus de retraite. Elles couvrent néanmoins 80 % de la population.

Chaque scénario est décortiqué dans deux déclinaisons, retraite à 60 ans et retraite à 65 ans (on retiendra 65 ans pour cette chronique), puis selon toutes les combinaisons possibles quant aux moments où sont demandées les rentes, de 60 à 72 ans pour le RRQ, et de 65 à 70 pour la PSV. L’âge du décès dans l’hypothèse de base est établi à 95 ans (un standard en planification de retraite). Les experts ont aussi refait leurs calculs en abaissant la marque à 85 ans.

Les évaluations s’appuient sur les paramètres de 2023, même si c’est seulement à partir de 2024 que le report du RRQ jusqu’à 72 ans sera permis.

Bonification du RRQ et de la PSV

On doit rappeler la mécanique à l’œuvre. Les Québécois ont droit à 100 % de leur pension à 65 ans, cela vaut autant pour la PSV que pour le RRQ. Cette dernière peut être réclamée de manière hâtive, dès 60 ans. Plus tôt on commence à l’encaisser, plus faible sera la rente (-0,6 % par mois d’anticipation). À 60 ans, elle est réduite de 36 %. On peut aussi repousser sa demande jusqu’à 70 ans, et 72 ans à partir de l’année prochaine, en échange de revenus bonifiés (0,7 % par mois de report). Prise à 72 ans, la prestation est augmentée de 58,8 %.

Les retraités ne sont pas admissibles à la PSV fédérale avant 65 ans. On peut toutefois la retarder et, comme le RRQ, plus on attend, plus la prestation sera accrue. À 70 ans, celle-ci est bonifiée de 36 % (0,6 % de plus par mois de report). Le supplément de 10 % auquel ont droit les personnes âgées de 75 ans et plus est lui aussi amélioré dans les mêmes proportions. Point important : les deux prestations sont pleinement indexées à l’inflation.

Évidemment, ces reports nécessitent de l’épargne. Pour faire le pont jusqu’à 70 et 72 ans, on doit pouvoir s’appuyer sur des économies. Daniel Laverdière chiffre l’épargne requise dans tous les cas de figure, en s’appuyant sur une hypothèse de rendement de 3 %, net de frais.

Les trois graphiques plus bas illustrent les trois sources de revenus, selon qu’on décide de toucher ses rentes de façon anticipée, à 65 ans, ou le plus tard possible. À l’œil, on constate que moins d’épargne est nécessaire en repoussant l’entrée en action des régimes publics. L’étude précise la différence au dollar près! Tous les cas de figure sont illustrés en dollars de 2023, la totalité des revenus est imposable, l’épargne est donc en REER.

Première situation : 40 000 $ par année à la retraite

Ici, on suppose un individu dont les revenus de carrière représentent 100 % du maximum des gains admissibles (MGA), soit 66 600 $ (2023). À la retraite, il vise un revenu de 39 960 $ jusqu’à 95 ans, soit 60 % de ce qu’il gagnait durant sa vie active.

Pour maintenir ce niveau de vie tout ce temps, le retraité aura besoin de presque 415 000 $ d’épargne s’il réclame ses prestations (RRQ et PSV) à 65 ans. C’est la pire décision, établit l’étude. Toutes les autres combinaisons sont plus avantageuses, mais la meilleure consiste à retarder à 72 ans pour le RRQ et à 70 ans pour le PSV. Cette solution permet d’arriver au même résultat avec 136 000 $ moins d’épargne.

On ne peut présumer l’âge de notre départ, mais dans le cas d’un décès à 85 ans, la solution optimale consisterait à demander le RRQ à 70 ans et la PSV à 68 ans.

Deuxième situation : des vieux jours avec 35 000 $ par année

Dans ce cas, on imagine une personne dont la moyenne des revenus de carrière atteint 75 % du MGA (49 950 $) de 2023. Elle compte égrainer ses vieux jours pendant trois décennies à compter de 65 ans avec l’équivalent de 70 % de ses revenus de travail (34 965 $).

Un REER garni de quelque 384 000 $ sera nécessaire pour financer cette retraite si les prestations sont touchées à partir de 65 ans. Comme épargne, c’est un montant relativement costaud. Comme dans le cas précédent, cette solution est perdante sur toute la ligne. En repoussant le plus loin possible le RRQ et la PSV, il faudra plutôt des économies de 274 128 $ pour soutenir le même train de vie, soit presque 110 000 $ de moins (29 %).

Dans une planification qui s’arrêterait à 85 ans (méchant pari!), il faudrait commencer à recevoir le RRQ à 70 ans et la PSV à 68 ans.

Troisième situation : la retraite à revenus faibles

De tous les scénarios, c’est probablement le plus exigeant en matière d’épargne. Dans ce cas, la personne a gagné en moyenne durant sa vie la moitié du MGA, soit 33 300 $. Compte tenu de ces revenus modestes, on doit viser en remplacement de 90 % (29 970 $) de 65 ans à 95 ans.

Quelqu’un dans ces conditions a aussi tout intérêt à repousser ses rentes au maximum (72 et 70 ans), mais pour faire le pont jusque-là, il doit accumuler 198 309 $. Toutefois, la situation s’empire considérablement si la personne retraitée commence à toucher ses pensions dès 65 ans, car il faudra 150 000 $ de plus (43 %) pour maintenir le même train de vie jusqu’à 95 ans.

J’ai laissé de côté les scénarios d’une retraite à 60 ans qui exige des REER plus garnis encore. Les conclusions sont les mêmes.

Vous voulez tester des hypothèses qui s’approchent le plus de votre situation? La CFFP a mis en ligne un outil de calcul qui permet d’évaluer l’épargne nécessaire pour soutenir un niveau de vie déterminé selon divers paramètres, dont le moment où les prestations de retraite sont réclamées.

Allez vous y amuser et perdre vos derniers préjugés…

(La suite samedi…)