Le Rouge et Noir ressemble aux défunts Rough Riders

En quatre saisons, le Rouge et Noir ne compte que 14 victoires. Il s’agit de l’une des périodes les plus sombres dans l’histoire de la Ligue canadienne de football (LCF) à Ottawa.

Le Rouge et Noir a gagné un premier match en un mois et demi, la semaine dernière. Un gain qui mettait fin à une séquence de sept revers de suite. Une victoire qui fait oublier temporairement à quel point la franchise se trouve plongée dans la médiocrité depuis 2019.


En quatre saisons, elle ne compte que 14 victoires. Il s’agit de l’une des périodes les plus sombres dans l’histoire de la Ligue canadienne de football (LCF), à Ottawa.

Les défunts Rough Riders avaient aussi remporté seulement un total de 14 parties à leurs quatre dernières saisons, de 1993 à 1996, avant de fermer boutique. De 1986 à 1989, ce fut pire.

Les amateurs avaient pu fêter seulement 12 victoires.

Pourtant, l’aventure du Rouge et Noir avait bien commencé avec trois participations au match de la coupe Grey en quatre ans, gagnant même le trophée en 2016.

Que s’est-il passé pour une telle dégringolade?

Que doit-il se passer pour relancer une concession qui faisait l’envie à travers le circuit Ambrosie il n’y a pas si longtemps?

Le Droit a décidé de sonder l’expertise de trois anciens joueurs québécois devenus analystes dans trois médias différents.

Le Gatinois Matthieu Proulx a été un maraudeur vedette pour les Alouettes de Montréal pendant six saisons avant de faire le saut au petit écran à RDS. Il a vu son lot de matches du Rouge et Noir au fil des ans. Autant les très bons que les très mauvais.

De leur côté, Arnaud Gascon-Nadon et Jean-Philippe Bolduc ont connu les belles années à Ottawa, faisant partie de l’édition championne, il y a déjà sept ans. Le premier offre maintenant ses commentaires à BPM Sports de même qu’à TVA Sports tandis que le second fait partie de l’équipe de description des Alouettes à Cogeco.

Les trois hommes ont décortiqué les problèmes du Rouge et Noir en plus d’offrir des solutions intéressantes pour une équipe qui risque de rater les éliminatoires pour une quatrième année de suite depuis sa dernière participation au match de la coupe Grey en 2018.

Comme les Alouettes

«Nous avons vécu quelque chose de similaire à Montréal après les années Calvillo et le départ de Marc Trestman et Jim Popp. Ce fut très difficile», rappelle Matthieu Proulx.

À ses yeux, Ottawa s’est tiré une première fois dans le pied en janvier 2019.

Plus précisément quand le directeur général de l’époque, Marcel Desjardins, et le quart-arrière Trevor Harris ont été incapables de s’entendre sur un nouveau contrat.

Le quart-arrière Trevor Harris, à l'époque où il évoluait pour le Rouge et Noir.

Harris est parti et l’équipe a décidé de miser sur… Dominique Davis.

«Après Henry Burris et Trevor Harris, tu as eu une collection de quarts médiocres… Davis, Jennings, Nicholls, Arbuckle, Masoli et Arbuckle encore. Malheureusement, la position de quart-arrière est la plus importante au football. Dans tous les sports, il n’y a pas un joueur ayant un plus gros impact sur son équipe. J’aimerais aller ailleurs, mais il n’y a pas mille explications pour les problèmes à Ottawa», affirme Proulx.

«Quand tu as un bon quart, tu peux gagner des matches. Quand tu gères mal cette position, tu paies le prix», ajoute-t-il.

Bolduc abonde dans le même sens.

«C’est la première raison de la débandade», lance l’ancien demi défensif qui a porté les couleurs du Rouge et Noir pendant quatre saisons.

«Je suis convaincu que si Marcel pouvait revenir en arrière, il ne laisserait pas partir un quart-arrière de franchise. Tout le monde fait des erreurs. Et avec du recul, je suis convaincu que c’est pareil pour Trevor. Il ne partirait pas.»

Car la carrière de Harris n’a jamais été la même après son départ de la capitale. Il a porté les couleurs de trois équipes depuis son passage dans le rouge et noir.

«Le départ du coordonnateur offensif Jamie Elizondo à trois ou quatre semaines du camp d’entraînement en 2019 n’a pas aidé non plus l’organisation. Là, tu n’avais plus de quart partant, ni de système à l’attaque», rappelle Jean-Philippe Bolduc.

Développer son propre quart-arrière

Le Rouge et Noir cherche toujours son prochain quart-arrière. Et il se rend compte que ce n’est pas une commande si simple.

«Les équipes sont tellement désespérées. Il y a un manque de quarts en raison de la présence de plusieurs ligues américaines. Prends l’exemple récent de Chad Kelly chez les Argonauts de Toronto. Au moment où l’équipe lui a fait signer un contrat de plus de 600 000 dollars par année, il n’avait que 12 départs en carrière», note Matthieu Proulx.

«Si tu veux un bon quart-arrière, tu dois le développer. Rares sont ceux qui arrivent à leur première année et connaissent du succès.»

Le Rouge et Noir se croise les doigts que la recrue Dustin Crum, 24 ans, s’avère enfin la solution. En 11 départs, il a complété 201 de ses 286 passes pour 2334 verges, sept touchés et sept interceptions.

Au sol, il a déjà porté le ballon 84 fois pour 620 verges et neuf touchés, un sommet dans la ligue.

Dustin Crum, quart-arrière actuel du Rouge et Noir.

«Il y a 10 ou 15 ans, jamais un coach n’aurait voulu le faire jouer. Mais il n’y a tellement pas d’options en ce moment. Je ne dis pas qu’il n’aurait pas été un bon quart. Mais la situation est exceptionnelle à Ottawa. L’équipe est déjà rendue à son quatrième quart cette saison.»

Masoli n’a pas commencé la saison en raison de complication survenue lors d’une chirurgie pour réparer une jambe fracturée. Arbuckle a échoué à le remplacer. Le jeune Tyrie Adams a pris la relève et montrait des signes prometteurs avant de subir une blessure majeure à un genou après avoir encaissé un plaqué illégal de Jake Ceresna, des Elks d’Edmonton.

«C’est plate parce qu’Ottawa a eu de bonnes défensives ces dernières années. L’équipe donne de gros jeux parfois. Mais le coordonnateur défensif Barron Miles n’a pas le choix de rouler les dés comme s’il est à Vegas en prenant certains risques pour créer des revirements puisque l’attaque ne produit pas.»

La bonne nouvelle? Crum montre des signes encourageants. Après avoir été victime de quatre interceptions à ses quatre premiers départs, il a été plus précis avec son bras droit. Sa prise de décision s’est améliorée.

«Tu n’as pas besoin du meilleur quart-arrière, mais il doit rester au moins en santé», avance Bolduc.

«Regarde Vernon Adams en Colombie-Britannique. Les gens étaient sceptiques. Mais il fait le travail. Tu as aussi besoin d’une stabilité. Les équipes qui ont du succès ont le même quart depuis quelques années. Il suffit de commencer par Winnipeg.»

Prioriser le talent canadien et ramener des anciens

Arnaud Gascon-Nadon croit que le Rouge et Noir doit retrouver son identité afin de renouer avec le succès.

«C’est devenu juste une équipe comme une autre dans la ligue canadienne», déplore l’ancien ailier défensif à Ottawa en 2016 et 2017.

Jean-Philippe Bolduc, Arnaud Gascon-Nadon, Antoine Pruneau, Patrick Lavoie et Jason Lauzon-Séguin.

«L’organisation a perdu son identité qui la différenciait des autres. Les gars ont commencé à partir les uns après les autres. La culture qui avait été mise en place au début a été brisée.»

Cet ADN comprenait, à ses yeux, plusieurs composantes importantes.

«On priorisait le talent canadien. C’était une des forces de l’équipe avec Rick Campbell, Marcel Desjardins, Antoine Pruneau, Patrick Lavoie, Brendan Gillanders, Brad Sinopoli et moi. Dès 2017, ça commençait déjà à se perdre.»

Puis selon Gascon-Nadon, il y avait un noyau solide en place de «gars qui voulaient rester là» et «qui n’étaient pas juste de passage à Ottawa».

«Des gars comme Henry Burris, SirVincent Rogers, Ernest Jackson, Greg Ellingson et Damaso Munoz. Regarde ce qui se fait à Winnipeg et même Toronto. Les gars veulent rester là.»

L’ancien joueur croit que la solution passe par le retour de plusieurs anciennes gloires.

«Rebâtir avec les mêmes valeurs que le programme avait en 2014 tout en donnant une place au talent local. Nous étions huit ou neuf partants canadiens quand nous avons gagné la coupe Grey. Je ramènerais aussi un gars comme Henry Burris.»

Henry Burrris.

Ça fera plaisir aux amateurs qui ont déjà lancé cette idée à plusieurs reprises.

Gascon-Nadon le verrait comme DG ou conseiller.

«Ramener aussi des gars comme Antoine Pruneau et Connor Williams qui ont aidé à bâtir cette équipe.»

L’idée n’est pas folle. Les Argonauts de Toronto ont fait confiance, il y a déjà plusieurs années, à Mike «Pinball» Clemons dans divers rôles. Un type avec une personnalité tout aussi grande que Burris. Il a su bien s’entourer de gens de football.

Les Argos ont gagné la coupe Grey l’an dernier et présentent cette saison la meilleure fiche de la LCF.

Cela dit, à moins d’une surprise majeure, le Rouge et Noir n’effectuera pas de ménage à la fin de la saison. Le poste de Shawn Burke, qui termine sa deuxième année comme DG, n’est nullement menacé.

L’organisation tient à lui donner le temps nécessaire pour rebâtir l’équipe de football.

Jean-Philippe Bolduc maintient que le Rouge et Noir possède déjà un bon entraîneur-chef en place en Bob Dyce. «Je suis biaisé, mais je le trouve bon», dit-il de son ancien patron au sein des unités spéciales.

Dyce a été coordonnateur de 2016 à 2022 avant d’être promu à la barre de l’équipe. Plusieurs de ses décisions ont toutefois été remises en question dans les dernières semaines par les amateurs.

L'entraîneur-chef du Rouge et Noir, Bob Dyce.

Matthieu Proulx prône aussi la stabilité. «Ça prend un certain temps pour mettre une équipe à sa main», dit-il.

«Ça prend toujours une année ou deux de transition quand tu changes de directeur général. Mais le facteur numéro un reste de trouver un bon quart-arrière.»